De la même manière que la vision en relief nécessite l'utilisation de nos deux yeux, nos deux oreilles sont essentielles pour percevoir notre environnement sonore en trois dimensions. L'écoute binaurale, ou stéréophonique, nous permet de localiser les diverses sources sonores qui nous entourent et de mieux comprendre la parole dans un environnement bruyant. Explorons ensemble cette fonction auditive fondamentale.
Sommaire :
- Qu'est-ce qu'un son?
- Pourquoi avons-nous deux oreilles?
- D'où proviennent les différences interaurales?
- L'emergence de la parole, une condition indispensable pour comprendre dans le bruit.
- Qu'est-ce que le démasquage auditif?
- Audioprothésiste: A quoi cela me sert de préserver les indices binauraux lors d'un appareillage auditif?
Qu'est-ce qu'un son?
Un son est une vibration des molécules, qui se propage dans un milieu, comme l'air. Elle transporte un message sonore qui comporte les caractéristiques de la source qui l'a produite. Dans notre environnement, nous sommes constamment entourés de plusieurs sources sonores simultanées. Les sons qu'elles émettent parviennent à nos oreilles à chaque instant, formant non pas des sons distincts, mais une combinaison de sons superposés.
Un son présente des caractéristiques physiques qui le rendent unique. Il se distingue par sa composition fréquentielle, son intensité et sa durée. Ces propriétés nous permettent, par exemple, de différencier les voix des personnes autour de nous ainsi que les différentes notes d'un morceau de piano.
Pourquoi avons-nous deux oreilles?
Le corps des êtres vivants agit comme un obstacle aux divers stimuli environnants. Pour compenser cet effet et améliorer notre perception du monde qui nous entoure, la plupart des êtres vivants a évolué avec deux yeux, deux oreilles afin de mieux saisir les informations provenant de différentes directions.
De la même manière que deux instruments de mesure sont utilisés pour corroborer une donnée, la présence de deux oreilles permet de recevoir deux flux d'informations. De par la position des oreilles, de la configuration de l'environnement et de l'obstacle physique formé par le corps, ces deux flux sonores ne sont pas parfaitement identiques.
D'où proviennent les différences interaurales?
Il existe deux grandes différences interaules liées à l'effet d'obstacle créé par le corps et l'angle d'incidence des ondes sonores.
Les différences Interaurales d'Intensité (DII)
Lorsqu'un son provient du côté droit, son intensité est perçue plus forte à droite, car la tête atténue le son avant qu'il n'atteigne le côté gauche. Ainsi, une différence d'intensité se forme entre les deux oreilles. L'atténuation de la tête, ou effet d'ombre, agit essentiellement sur les fréquences supérieures à 3000Hz; c'est à dire des fréquences pour lesquelles la longueur d'onde est inférieure aux dimensions de la tête.
Les différences Interaurales de Temps (DIT)
Lorsqu'un son provient du côté droit, il atteindra l'oreille droite, puis l'oreille gauche avec un certain délai. Ainsi, une différence de temps d'arrivée du son se forme entre les deux oreilles. Cet indice temporel sera efficient essentiellement sur des fréquences inférieures à 1500Hz; c'est à dire des fréquences pour lesquelles la longueur d'onde est supérieure aux dimensions de la tête.
L'emergence de la parole, une condition indispensable pour comprendre dans le bruit.
Pour comprendre la parole dans un contexte bruyant, il est essentiel qu'elle émerge du bruit ambiant. En effet, si à un instant donné la parole est masquée sur l'ensemble de son spectre fréquentiel, elle sera inaudible (graphe A - couleur jaune). En revanche, si elle émerge suffisamment dans quelques zones fréquentielles, l'oreille pourra capter et exploiter ces informations (graphe B - couleur jaune).
Qu'est-ce que le démasquage auditif?
Le démasquage auditif est un processus permettant de faire émerger et de mieux exploiter un signal utile, comme un signal de parole en compétition avec d'autres signaux. Le démasquage auditif a deux sous composantes: l'amélioration du rapport signal à bruit liée à la spatialisation des sources sonores (spatial release from masking), et le démasquage binaural (binaural unmasking).
Amélioration du rapport signal à bruit par la spatialisation des sources sonores
Lorsque deux sources sonores proviennent d'un même point de l'espace, elles sont dites colocalisées. Si l'une des sources est un signal de parole et la seconde un bruit, l'émergence de la parole sera identique dans chaque oreille (Graphe A - couleur jaune). Autrement dit, pour comprendre le message de parole, celle-ci doit suffisamment se distinguer du bruit (Rapport Signal à Bruit positif -> RSB+).
Dans notre quotidien, les sources sonores proviennent souvent de points différents dans l'espace. Elles sont "spatialisées". Ainsi, si la parole vient du côté droit, elle sera perçue plus intensément à droite qu'à gauche, et inversement pour la source de bruit. Ce phénomène est lié à l'effet d'ombre de la tête. Ces différences interaurales d'intensité permettent de faire émerger la parole du bruit du côté d'où vient la parole, surtout pour des fréquences supérieures à 3000Hz (Graphe B - couleur jaune - RSB++).
Démasquage binaural: le délai interaural
Lorsque deux sources sonores sont spatialisées, le son émis parvient à chaque oreille avec un délai interaural différent. Sur le graphe, le son de parole arrive d'abord à droite puis à gauche ; inversement pour le bruit. En considèrant une onde comme plane, le délai d'arrivée d'une onde entre les oreilles s'obtient par la formule:
t = d/v = r*(sin(α)+ α) / v
d (en m), la distance qui sépare les deux oreilles, v (en m.s-1), la vitesse de propagation d’une onde sonore, α (en rad), l'angle d'incidence de l'ondre et r (m), le rayon de la tête
Le délai maximal entre les deux oreilles, obtenu pour un angle d'incidence de 90°, est de 600 micro-secondes environ.
Démasquage binaural: fonction essentielle pour comprendre dans le bruit
La spatialisation des sources introduit un délai unique pour chaque source sonore. Le système auditif fonctionne comme un analyseur de cohérence. Bien que séparés d'un délai, si certains traits des flux droits et gauches se ressemblent, le système auditif considère qu'ils proviennent de la même source. À l'inverse, si les traits sont différents, ils sont perçus comme deux sources distinctes. C'est le principe de ségrégation des flux. Ainsi, si la parole a un délai interaural différent de celui du bruit, le système auditif les séparera, nous permettant de nous focaliser sur la parole.
Compte tenu des limites de codage temporel de l'oreille et du délai maximal entre les deux oreilles, l'utilisation des différences interaurales de temps est efficiente jusqu'à 1500Hz. D'autres phénomènes existent comme l'analyse des enveloppes mais c'est un autre sujet.
Audioprothésiste: A quoi cela me sert de préserver les indices binauraux lors d'un appareillage auditif?
Certains patients conservent une bonne perception et.ou un bon usage des basses fréquences. En évaluant leurs capacités de démasquage binaural (sous composante du démasquage auditif), il est possible d'orienter différement le choix prothétique. Si le patient utilise efficacement ces basses fréquences, il peut être contre-productif d'obturer excessivement l'oreille. En revanche, s'il les utilise moins bien, il peut être pertinent de privilégier des fonctionnalités qui réduisent l'impact du bruit au profit de la parole.
Comment tester la fonction binaurale? Le test de Hirsh
La procédure de Hirsh permet de tester le démasquage auditif en spatialisant les sources. Elle met en évidence l'apport des indices binauraux pour faire émerger la parole (Graphe A versus A' - paradigme de Hirsh). Cependant, cette procédure évalue le démasquage de manière globale et manque de normes pour comparer les résultats du patient.
Comment tester la fonction binaurale? Le test de démasquage binaural
Il est possible de tester spécifiquement les capacités de démasquage binaural avec des tests auditifs au casque. La société SONUP développe depuis plusieurs années des tests visant à fournir des informations complémentaires sur le profil auditif des patients.
Elle travaille également à établir des normes pour situer les performances des sujets testés. Découvrez également sa publicationici.
Article rédigé parAntoine Lorenzi,Audioprothésiste et Docteur en Neurosciences.
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